Etrange paradoxe que celui de Rick Bass qui, fils de géologue et géologue pétrolier lui même durant une petite dizaine d’années, mène aujourd’hui un combat écologiste au sein de plusieurs associations du Montana et consacre la plus grande partie de ses écrits à l’inexorable et progressive disparition de la nature sauvage. Passant du roman à la nouvelle et inversement au gré de ses humeurs, il nous livre aujourd’hui avec cette Rivière en hiver huit textes dont le plus long ne dépasse pas les 50 pages.

La citation de Jacques-Yves Cousteau placée en exergue éclaire le lecteur sur les intentions de l’auteur, sur ce qui va sous-tendre l’ensemble des nouvelles qui suivent.
Falco m’a dit : « Je ne sais pas ce qui s’est passé au juste. Je suis la même personne et pourtant je ne suis plus le même … Sous la mer, tout est moral. »
Le ton est donné dès le premier texte, Élan, au cours duquel le narrateur et un ami partent chasser. Rick Bass décrit sur une quinzaine de pages le long et fastidieux travail consistant à écorcher, vider et dépecer la bête qui les nourrira tout l’hiver avant de ramener ces kilos de viande pendant plusieurs jours de marche. Toujours sensible à la beauté du monde et à la perfection que peuvent atteindre certains moments, il dépeint ici plus qu’une partie de chasse, une façon de vivre dans la nature, avec elle, sans ignorer les efforts qu’une telle volonté exige.
Ce dont elle se souvient narre le périple d’un père et de sa fille à travers le Montana en route pour le parc de Yellowstone. Texte sensible et délicat, attentif ici aussi à l’absolue perfection de l’instant, cette nouvelle constitue une des perles du recueil.
« Elle se souvient de s’être arrêtée à l’arche de pierre, au seuil du parc, pour qu’ils puissent faire une photo, son père installant l’appareil sur le capot, déclenchant le retardateur puis courant vite la rejoindre. Haletant, après avoir sprinté contre le vent, comme s’il remontait le temps. Son bras enserra les épaules de Lilly. Que notre cerveau doit être vaste, pense-t-elle aujourd’hui, pour se rappeler des choses aussi infimes, fondamentalement inutiles et éphémères ! Comment quiconque ose-t-il dormir ne serait-ce qu’un instant ?«
Si L’arbre bleu, dans lequel un père et ses filles partent en forêt de nuit pour y couper un sapin de Noël, semble continuer dans la même veine, on se laissera agréablement surprendre par certains des textes suivants dans lesquels Rick Bass semble sortir de sa zone de confort et propose, notamment avec Chasseur de baux ou Coach, des personnages et des situations que l’on s’attendait peu à croiser ici. Il parvient à s’y montrer tout aussi touchant et attentif à la sensibilité de chacun(e).
La rivière à l’envers ou Histoire de poisson renouent avec ce que l’on connaît de lui tandis que la longue nouvelle Guide du Pérou et du Chili à l’usage d’un alcoolique vient là aussi nous frapper sans prévenir. Il est ici aussi question de paternité et de liens familiaux dans cette cinquantaine de pages au long desquelles Rick Bass étonne et émeut une nouvelle fois.

Il faut s’attendre à être touché par la grâce avec laquelle ces nouvelles semblent avoir été écrites. Rick Bass y confirme à la fois son sens aigu de l’observation et une humanité, une profondeur morale que l’on rencontre assez peu de nos jours. Parsemé de micro-événements et de bonheurs fugaces, La rivière en hiver est un baume au climat anxiogène de ces derniers mois, une véritable respiration à l’odeur d’eau, de glace, de neige et de forêt, une lecture après laquelle on peut garder encore un peu de foi en ses semblables.
Yann.
Nouvelles traduites de l’anglais (États-Unis) par le grand Brice Matthieusent.
La rivière en hiver, Rick Bass, Bourgois, 220 p. , 20€50.